DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DES FLEUVES ET RIVIÈRES

Préambule

RECONNAISSANT que les fleuves et rivières sont essentiels à toute vie en soutenant une diversité extraordinaire d'espèces et d'écosystèmes, en alimentant les zones humides et autres habitats aquatiques avec de l’eau abondante, en fournissant des nutriments vitaux aux estuaires côtiers et aux océans, en transportant les sédiments jusqu'aux deltas fluviaux regorgeant de vie, et en remplissant d'autres fonctions écologiques essentielles,

CONSCIENT que les fleuves et rivières jouent également un rôle vital dans le fonctionnement du cycle hydrologique de la Terre, et que la viabilité des fleuves et rivières à jouer ce rôle dépend de nombreux facteurs, notamment l’entretien des bassins versants, des plaines inondables et des zones humides environnants,

RECONNAISSANT la dépendance absolue de l’homme aux fleuves, rivières et aux hydrosystèmes qui soutiennent la vie humaine en nous fournissant de l'eau potable et abondante pour la consommation et l'hygiène, un sol fertile, des sources de nourriture pour des milliards de personnes, des loisirs, des usages culturels et l'entretien de l'esprit humain, comme ils l'ont fait depuis le début de la civilisation humaine,

ALARMÉ par le fait que les humains ont causé une pollution importante des fleuves et rivières du monde entier, notamment par la matière organique provenant des eaux usées, des déchets plastiques, des agents pathogènes et des nutriments provenant de l'agriculture, ainsi que des contaminants provenant de l'industrie, en plus de nombreuses autres formes et sources de pollution, résultant en un déclin de la santé aquatique et de la biodiversité, ainsi qu’en des impacts négatifs importants sur la santé humaine,

PRÉOCCUPÉ par le fait que les dérivations des cours d’eau et les prélèvements d'eau souterraine excessifs ont considérablement réduit les débits des fleuves et rivières du monde entier, de nombreux cours d’eau étant désormais complètement asséchés, malgré le consensus scientifique selon lequel des débits adéquats sont fondamentaux à la survie des écosystèmes fluviaux et constituent l'élément vital de nombreux eaux douces et écosystèmes riverains dépendants des rivières,

PRÉOCCUPÉ EN OUTRE par le fait que les humains ont causé des changements physiques à grande échelle aux fleuves et rivières par la construction de barrages et autres infrastructures, ce qui comprend la construction de plus de 57.000 grands barrages dans le monde qui ont un impact sur plus des deux tiers de tous les fleuves et rivières, entraînant une fragmentation des habitats, une biodiversité réduite, des populations de poissons en péril, un changement climatique aggravé et des sédiment et nutriments retenus qui sont essentiels à la santé des écosystèmes en aval,

CONSTATANT que les lois nationales et internationales relatives aux cours d’eau sont largement inadaptées pour protéger la santé intégrale des fleuves, rivières et bassins fluviaux, et que ces lois ne parviennent pas non plus à garantir aux générations actuelles et futures, aux autres espèces ainsi qu'aux écosystèmes, un approvisionnement adéquat en eau potable pour répondre à leurs besoins de base,

CONSCIENT que tous les peuples, y compris les communautés autochtones et les autres communautés locales de toutes croyances spirituelles, ont depuis longtemps soutenu à travers leurs  traditions, leurs religions, leurs coutumes et leurs lois que la nature (souvent appelée «Terre-Mère») est une entité dotée de droits, et que les fleuves et rivières en particulier sont des entités sacrées possédant leurs propres droits fondamentaux,

CONSCIENT que la dégradation et l'exploitation des fleuves et rivières n'est pas seulement une question environnementale, mais aussi une préoccupation en matière de droits des peuples autochtones et des autres communautés locales, car la destruction des fleuves et rivières menace l'existence et le mode de vie mêmes de ceux qui dépendent des systèmes fluviaux pour leur bien-être,

GUIDÉ par le nombre croissant de gouvernements dans le monde qui cherchent à inverser la tendance actuelle à la dégradation de l'environnement mondial en reconnaissant et en faisant respecter les droits inhérents à la nature, notamment par un amendement constitutionnel en Équateur (1), deux lois nationales dans l'État plurinational de Bolivie (2) et en Ouganda (3), de nombreux amendements constitutionnels d’États du Mexique (4) et des dizaines d'ordonnances sur les droits de la nature aux États-Unis (5) et au Brésil (6),

GUIDÉ EN OUTRE par la reconnaissance juridique croissante des droits inhérents aux fleuves et rivières, notamment par un traité néo-zélandais reconnaissant le fleuve Whanganui (ou «Te Awa Tupua») comme « un tout indivisible et vivant » et « une personne morale », incluant la nomination de tuteurs pour représenter ses intérêts (7) ; une décision de la Cour constitutionnelle de Colombie affirmant que le bassin du fleuve Atrato possède des droits à « la protection, la conservation, l'entretien et la restauration » et d'autres décisions de justice dans toute la Colombie établissant les droits des rivières et des bassins fluviaux (8) ; plusieurs résolutions adoptées par les Amérindiens, notamment une résolution du Conseil général de Nez Perce reconnaissant les droits de la rivière Snake à exister, à s’épanouir, à évoluer, à s’écouler, à se régénérer et à être restaurée (9), et une résolution de la tribu Yurok reconnaissant les droits du fleuve Klamath d'exister, de prospérer et d'évoluer naturellement sans polluants ni contamination (10) ; une décision de la Haute Cour du Bangladesh selon laquelle toutes les rivières ont des droits légaux (11) ; et une décision d’une Cour provinciale équatorienne appliquant les droits constitutionnels de la rivière Vilcabamba et appelant à sa remise en état et à sa réhabilitation (12),

CONVAINCU que reconnaître les droits de la nature, et en particulier reconnaître les droits fluviaux contenus dans la présente Déclaration, favorisera la création d'un nouveau paradigme juridique et social fondé sur la vie en harmonie avec la nature et le respect à la fois des droits de la nature et des droits de l'homme, en particulier en référence aux besoins urgents des communautés autochtones et des écosystèmes qu'elles ont longtemps protégés,

1. Déclare que TOUS LES FLEUVES ET RIVIÈRES ONT DROIT AUX DROITS FONDAMENTAUX énoncés dans la présente Déclaration qui découlent de leur existence même sur notre planète commune

2. Déclare en outre que tous les fleuves et rivières sont des ENTITÉS VIVANTES qui ont intérêt à agir en justice

3. Établit que tous les fleuves et rivières doivent posséder, au minimum, les DROITS FONDAMENTAUX suivants:

  • Le droit de s’écouler librement (13),

  • Le droit de remplir ses fonctions essentielles dans son écosystème (14),

  • Le droit de ne pas être pollué,

  • Le droit d’alimenter et d’être alimenté par des aquifères durables,

  • Le droit à la biodiversité indigène, et

  • Le droit à la régénération et à la restauration ;

4. Établit en outre que ces droits visent non seulement à assurer la santé des fleuves et rivières, mais aussi LA SANTÉ DES BASSINS VERSANTS dont les fleuves et rivières font partie, ainsi que la santé de tous les écosystèmes et êtres naturels qui s’y trouvent, qui possèdent tous, au minimum, les droits fondamentaux d’exister, de prospérer et d’évoluer

5. Maintient qu'afin d'assurer la mise en œuvre et l’application pleines et entières de ces droits, chaque fleuve et rivière aura le droit à la nomination de manière indépendante d'un ou plusieurs tuteurs légaux qui agiront uniquement AU NOM DES DROITS DE LA RIVIÈRE et pourront représenter le fleuve ou la rivière dans toute procédure judiciaire ou devant toute institution gouvernementale autorisée à l'affecter, au moins un tuteur légal sera un REPRÉSENTANT AUTOCHTONE de ces fleuves et rivières dont dépendent traditionnellement les communautés autochtones,

6. Détermine que L’INTÉRÊT DES FLEUVES ET RIVIÈRES, tel que déterminé par leurs tuteurs légaux, doit être évalué et pris en compte par les entités gouvernementales et privées dans toutes les actions ou décisions les concernant,

7. Décide que tous les États doivent appliquer l’ensemble de ces droits dans un délai raisonnable notamment en élaborant et en agissant sur la base d’une ÉVALUATION INTÉGRÉE de la santé des bassins versants conformément aux connaissances scientifiques les plus récentes et en partenariat avec toutes les parties concernées,

8. Incite fortement tous les gouvernements à garantir la prompte mise en place de mécanismes financiers adéquats afin d’exécuter LES DROITS FONDAMENTAUX DES FLEUVES ET RIVIÈRES, incluant le droit de chaque fleuve et rivière à sa restauration,

9. Affirme que les gouvernements doivent envisager de mettre hors service tous les barrages dépourvus d’un objectif social et écologique impérieux, et que toute nouvelle construction de barrage ne doit se produire que lorsque cela est nécessaire pour atteindre un objectif social et écologique impérieux qui ne peut être atteint par d’autres moyens raisonnables, et avec le PLEIN CONSENTEMENT PRÉALABLE, LIBRE ET ÉCLAIRÉ DES COMMUNAUTÉS IMPACTÉES ET DES COMMUNAUTÉS AUTOCHTONES. Lorsqu’ils sont estimés nécessaires, les barrages et autres infrastructures hydrauliques doivent utiliser les meilleures technologies disponibles pour préserver la santé des écosystèmes. À plus long terme, la société trouvera des alternatives aux barrages qui permettent des couloirs de bassins versants à écoulement libre et PROGRESSERA DE FAÇON CROISSANTE VERS UN MONDE SANS BARRAGES dans le respect des droits des communautés humaines et non humaines qui se sont adaptées au statu quo.

Notes de bas de page :

1. République de l'Équateur, Constitution de 2008, Arts. 10, 71, 72, 73, et 74.

2. Bolivie, Loi sur les Droits de la Terre-Mère, loi 071 (2010); Bolivie, Loi-Cadre sur la Terre-Mère et le Développement Intégral pour Bien Vivre, Loi 300 (2012).

3. Ouganda, Loi Nationale sur l'Environnement (2019).

4. Constitución Política del Estado Libre y Soberano de Guerrero (2016); Constitución Política de la Ciudad de México (2017); Constitución Política del Estado Libre y Soberano de Colima (2019).

5. Voir par exemple l'ordonnance n°612 de 2006, Tamaqua Borough, Schuylkill County, Pennsylvanie (2006); Ordonnance du Conseil Municipal de Santa Monica Établissant des Droits au Développement Durable § 4.75.040 (b) (2013).

6. Voir par exemple l’amendement à la loi organique 7/2018 du 16/05/2018, Conseil Municipal de São Paulo (2018); l’amendement à la loi organique n°03 du 5 janvier 2018, Conseil Municipal de Paudalho (2018).

7. Projet de loi Te Awa Tupua (règlement des revendications de la rivière Whanganui) (2017).

8. Acción de tutela interpuesta por el Centro de Estudios para la Justicia Social “Tierra Digna” contra la Presidencia de la República y otros, República de Colombia, Corte Constitucional, Expediente T-5.016.242 (Nov. 10, 2016). Voir aussi la rivière Plata (2019, Tribunal Civil Municipal Colombien de la Plata); trois rivières à Tolima : le Coello, Combeima et Cocora (2019, Tribunal Administrative de Tolima); le bassin fluvial du Cauca (2019, Cour Supérieure de Medellin); le bassin de la rivière Pance (2019, Troisième Cour D’exécution des Peines et des Mesures de Sécurité de Cali); et la Rivère Otún (2019, Quatrième Cour d’Exécution Pénale de Pereira).

9. Conseil général de Nez Perce, SPGC20-02, Résolution établissant les droits de la rivière Snake (18-20 juin 2020).

10. Conseil Tribal de Yurok, Résolution établissant les droits de la rivière Klamath (9 mai 2019).

11. Haute Cour du Bangladesh (2019) (définit la rivière Turag comme être vivant et personne morale, puis étend ce statut juridique à toutes les rivières).

12. Cour de Justice de la Province de Loja, Décision N°11121-2011-0010 (30 mars 2011).

13. Les débits doivent, au minimum, suivre les schémas d'écoulement naturels et être en quantité suffisante pour maintenir la santé de l'écosystème de l'ensemble du système fluvial.

14. Celles-ci comprennent le maintien de la connectivité horizontale et longitudinale, les inondations, le déplacement et le dépôt de sédiments, la recharge des eaux souterraines, la fourniture d'un habitat adéquat pour la flore et la faune indigènes, et d'autres fonctions essentielles.